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L'économie a-t-elle un sens?

Vers une économie du vivant ?

14 Juin 2017 , Rédigé par Philippe Vadjoux Publié dans #Extrait du livre

 

Une finalité de l’économie, plus humaine et respectueuse de la biosphère, est nécessaire, mais la mutation reste complexe.

 

L’argent est-il le mal absolu ? L’argent, monnaie d’échange, étalon de mesure des biens et des services paraît utile. Mais l’appât du gain, le profit comme unique boussole d’activité, réduisent l’être humain et détruisent la planète.

 

Le marché peut-il être équilibré, contrôlé par un arbitre ou conduit-il nécessairement au pouvoir capitaliste ?

 

Remettre l’économie sur ses pieds, « au service des êtres humains… », oui mais selon quels ressorts, quels critères, quels mécanismes ?

 

Faut-il détruire l’économie de marché et l’esprit d’entreprise qui en est issu ? L’expérience nous a instruit sur les dangers d’une économie centralisée, bureaucratisée qui dessaisit les citoyens. Il convient au contraire de libérer les initiatives, la créativité, mais dans un sens beaucoup plus large. L’esprit d’entreprise doit être encouragé, mais c’est sa finalité qui doit être repensée. Le chercheur qui découvre un brevet, l’enseignant qui innove dans la pédagogie, le responsable d’ONG qui intervient au secours de populations sinistrées, le syndicaliste qui propose une nouvelle forme d’organisation du travail etc. ont bien l’esprit d’entreprise.

 

Faut-il supprimer la concurrence ? Dès lors qu’un citoyen est soumis à un parti unique, qu’un consommateur est soumis à un monopole ou une entente, c’est la liberté qu’ils perdent. Il faut combattre la concentration des pouvoirs. Le pluralisme et la concurrence doivent être encouragés pour permettre le foisonnement des idées, des projets. Le capitalisme nous paraît néfaste dans sa finalité même, comme dans son pouvoir opaque. Mais il ne s’agit pas de revenir en arrière, il faut au contraire dépasser ce système par l’initiative, l’innovation.

 

Doit-on attendre la révolution pour changer le système ? Là encore l’expérience révèle que les révolutions sont comme les guerres. On sait comment elles commencent, on ne sait pas comment elles finissent. Faut-il encore croire aux glorieuses avant-gardes qui décidaient du bonheur du peuple ? Peut-on échapper à une contre-révolution, parfois à une dictature ? Une mutation véritablement radicale ne nécessite-t-elle pas la participation de tous ? Or l’individu a besoin de temps pour s’adapter. Toutes les mutations biologiques sont progressives. Le recours à l’intelligence exige le débat, l’expérimentation, le temps. Le monde nouveau est trop complexe pour sortir d’une tête ou d’un parti. Il se façonne progressivement par des réflexions, des expériences, des échecs, des synthèses.

 

 

*

 

 

Et si l’esquisse de ce monde était déjà sous nos yeux, pour qui sait le lire ?

 

Nous avons pu relever que bien des penseurs, pourtant fort différents, plaidaient pour de réelles transformations.

 

Déjà Walras considérait que l’équilibre économique devait être mis au service des populations, que les lois du marché ne devaient pas empêcher la constitution de mutuelles de travailleurs.

 

Karl Polanyi proposait un marché autorégulé grâce au droit du travail, à la protection sociale, à la sécurité de tous. Le marché devait être réduit à sa seule fonction marchande et « encastré » dans les relations sociales, donc au service de celles-ci.

 

Jean Jaurès en appelait à « l’évolution révolutionnaire », cet oxymore emprunté à K. Marx. Il s’agissait d’introduire dans la société des formes nouvelles d’organisation et de propriété (coopératives de production et de consommation par exemple) qui préfigureraient le monde de demain1.

 

Paul Jorion, à la fois anthropologue et banquier, constate aujourd’hui l’implosion du système capitaliste avec la disparition des autorités de régulation. Deux régimes économiques pourraient fonctionner en parallèle : le premier porterait sur ce qui est marchand, le second sur ce qui est essentiel pour l’homme et la planète (les biens communs).

 

Edgar Morin dénonce la course folle du capitalisme et la « barbarie » qui monte (racisme, xénophobie, haine de l’autre, domination, exploitation etc.). Il en appelle à un réveil citoyen pour régénérer la pensée politique, mettre en œuvre des expériences de terrain et créer une économie « plurielle » : économie verte, économie sociale et solidaire, commerce équitable, économie de la convivialité, agriculture biologique, entreprise citoyenne etc.

 

Face à la « crise de civilisation » E. Morin invite à comprendre les aspects essentiels du changement : la transformation économique implique bien d’autres disciplines, politiques, sociales, psychologiques etc. et seule une vue d’ensemble peut permettre de comprendre une évolution ou de la susciter.

 

La transformation à opérer est si profonde qu’elle ne peut-être immédiate et brutale. Il s’agit en fait d’une « métamorphose », d’un changement d’ère2.

 

 

*

 

 

Nous nous sommes efforcés, dans les parties historiques et critiques, d’adopter une vision globale économique, politique, philosophique, sociologique, « holistique », en reliant les faits et les pensées, en les mettant en perspective.

 

Nous allons conserver cette méthode, ce fil d’Ariane, pour explorer à la fois les expériences vécues et les idées novatrices qui trouvent une cohérence, créent une dynamique et permettent d’esquisser le tableau d’un autre monde possible. Le tout est de distinguer le « signal » dans le « bruit ambiant ».3

 

Comment passer d’une société marchande, réductrice, vers une civilisation plus humaine, plus élevée ?

 

Livrer une solution « clef en main », un monde nouveau, une conception globale, une Weltanschauung, serait bien présomptueux et peut être même dangereux.

 

Il s’agit plutôt de découvrir les points d’appui pour transformer, dépasser le système de façon cohérente. Bien souvent des expériences novatrices existent déjà, parfois il faut rechercher les idées, les signaux précurseurs.

 

Quels peuvent être les grands axes de cette mutation ?

 

D’abord le ressort. La volonté de changer le monde doit procéder des citoyens. C’est l’initiative individuelle ou collective qui sera à l’origine du mouvement.

 

Un consommateur responsable. Un citoyen participatif. Une entreprise démocratisée.

 

Il s’agit d’instaurer une économie hybride qui ouvre de nouvelles formes d’organisation, face aux entreprises traditionnelles.

 

C’est ensuite la finalité. L’économie doit viser en priorité au développement humain et durable. Pour cela, il faut concevoir une nouvelle façon d’évaluer et de comptabiliser l’activité économique afin de mieux définir l’utilité des investissements et des produits.

 

C’est enfin le cadre. Le débat récurrent du marché et de l’Etat doit être renouvelé. Un marché hybride doit permettre l’apparition d’une véritable concurrence entre l’économie marchande et la nouvelle économie.

 

Les institutions nationales, régionales et mondiales ont pour mission de faire prévaloir l’intérêt général. La crise démocratique, ne trouvera sa solution que dans plus de démocratie. Celle-ci ne doit pas être considérée comme un acquis mais comme une conquête permanente.

 

Ces grands axes nous paraissent essentiels car ils portent sur le moteur, l’objectif et le cadre d’une économie.

 

1 Cf. Jean-Paul Scot « Jaurès et le réformisme révolutionnaire », Seuil.

2 Cf. « Pour une politique de civilisation », Seuil, 1997 ; Avec Sami Naïr « La Méthode », 1997-2006 ; « Ma Gauche », 2010, Bourin Editeur.

3 Citons à cet égard les travaux d’un jeune mathématicien américain, féru en algorithme, Nate Silver, qui a exploité toutes les bases de données disponibles et a prédit l’élection de B. Obama, Etat par Etat. Dans son ouvrage « The Signal and the Noise » (septembre 2012) il annonce que l’exploitation des bases de données permettra d’anticiper bien des événements et constituera une science à condition de savoir distinguer l’information utile, le « signal », dans le « bruit ambiant ».

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